Loup y es-tu ?

Les loups ont fait l'objet, bien malgré eux, de quelques brèves dans les journaux récemment. Celles-ci narraient une fois de plus l'opposition entre défenseurs et opposants du prédateur et je ne ferai de mystères en affichant de suite mon appartenance à la première catégorie. Et, même si ce n'est pas le but premier de ce texte, je commencerai par donner quelques éléments de contexte, délicatement assaisonnés d'une pointe de subjectivité...

Après avoir menacé la population française d'extinction, en faisant quelques centaines de morts au cours des siècles passés, Canis lupus de son petit nom a finalement été éradiqué du territoire français au début du XXème siècle. C'est ce qu'on appelle le progrès. Or, nos voisins et amis italiens ayant été moins efficaces ou modernes que nous, voilà donc le loup qui revient 60 ans plus tard du côté des Alpes. Certainement décidés à se venger des affronts passés, le loup a décidé d'appliquer la tactique bien connue des fourbes étrangers (après tout, ceux-là étaient italiens) consistant à s'imposer par le nombre via une reproduction forcenée. Pensez donc, moins de 25 ans plus tard, en 2014, ils ont atteint le nombre vertigineux de 301 individus, tout ceci réparti dans 24 départements. Je vous laisse faire le calcul de l'effrayante densité que cela représente ! Mais cela aurait pu être bien pire (demandez aux lynx et aux ours ce qu'ils en pensent...) sans la résistance qui s'est organisée dès l'annonce du retour de l'indésirable, résistance dont l'efficacité a récemment été améliorée, l'estimation en 2015 ne faisant plus état que de 282 individus. Mais comme il s'agit simplement d'une estimation, tout danger n'est pas encore écarté pour nos cheptels ovins nationaux et autres randonneurs téméraires qui aimeraient pouvoir profiter de la montagne et de la campagne sans désagréments de nature un peu trop "naturelle".

Néanmoins, les temps ont changé. Et les loups, depuis leur retour, bénéficient d'une certaine complicité de quelques "extrémistes écolos" (et, tant qu'à faire, pourquoi pas "terroristes", qualificatif encore entendu ce matin sur une radio nationale...), voire des pouvoirs publics qui obligent les régulateurs "pas du tout extrémistes ceux-là" à ne pas tuer plus X individus par an. Pour information, le quota de juillet 2015 à juin 2016 est fixé à 36 abattages (soit environ 12% de la population). Mais les régulateurs ayant été un peu zélés en 2015, le nombre de loups abattus atteints déjà 34 pour la période concernée. Sachant que nous ne sommes qu'en janvier, les as de la gâchette risquent de se retrouver au chômage technique d'ici peu ! Mais comme les loups ne votent pas, contrairement aux membres de la FNSEA, il est finalement plus facile d'augmenter le quota. Et c'est justement ce qui est actuellement en discussion.  Remarquez, "nos" loups ne devraient pas se plaindre, ils pourraient être norvégiens ! Car, s'ils l'étaient, ils se feraient descendre presque à coup sûr : sur les 30 (!) loups sauvages que compte ce pays, le gouvernement a décidé d'en faire abattre 16 (!!). Pour ce faire, plus de 11 000 courageux chasseurs, ayant visiblement le sens du devoir, ont sollicité l'autorisation de faire partie de la fête.

Mais après tout, il faut comprendre que tolérer la présence du loup sur "notre" sol coûte cher. En 2011 par exemple, l'enveloppe globale a été estimée à 7,8 millions d'euros (20% pour les indemnisations d'éleveurs et 80% pour les mesures de protection des troupeaux). Il est toujours difficile de se rendre compte de ce que représente une telle somme. Pour mieux appréhender la chose, sachez que c'est proche de ce qu'ont reçus dans la même période (au titre des aides publiques directes) des magazines tels que L'Express ou Télé 7 Jours, dont l'intérêt patrimonial est sans commune mesure avec ce qui nous occupe ici...

Bon, ma partie introductive ayant un peu enflée, je reviens rapidement au thème que je voulais aborder initialement.

L'excellent site Reporterre a récemment mis en ligne un article intitulé "Et si le loup était un bouc émissaire ?". Pour le résumer en quelques mots, le loup serait bien opportunément rendu responsable des maux de la filière ovine, sans que celle-ci ne s'interroge trop sur les dérives de son industrialisation. Il faut dire que l'industrialisation est le fond de commerce du syndicat agricole majoritaire, la FNSEA, dont le président semble maitriser aussi bien les techniques de l'enfumage que du grand écart, tel un Cahuzac dirigeant la lutte contre l'exil fiscal il y a peu de temps encore. Je ne résiste d'ailleurs pas à l'envie de reproduire un passage éclairant de ce texte de 2015 :

"Sublime paradoxe, la patron de la FNSEA, premier syndicat agricole, Xavier Beulin, qui discute avec le ministre, est président de la multinationale Sofiprotéol, propriétaire de plusieurs marques agro-alimentaires, dont l'une des filiales à 100%, la société Farmor (Glon-Sanders), à Guingamp, importe des centaines de milliers de tonnes de poulets industriels brésiliens produits dans des conditions ignobles. D'une main j'envoie mes éleveurs de volailles faire des actions commandos, d'une autre j'importe en masse ce qui les conduit à la ruine".

Au delà de ces basses manoeuvres, la mondialisation des échanges commerciaux a provoqué une baisse générale des prix, saluée et encouragée comme étant la voie à suivre par la religion de la consommation. Les consommateurs, que nous sommes tous à des degrés divers, souhaitent souvent avoir plus pour moins cher et l'alimentation ne fait pas exception. Ainsi, la part de l'alimentation dans le budget des ménages français a quasiment été divisé par 2 ces 50 dernières années, ce qui n'est pas vraiment compatible avec la sauvegarde des cultures ou élevages locaux, rentables pour des petits exploitants indépendants. Et l'industrie n'a que faire des notions de biodiversité ou d'esthétique, domaines dans lesquels le loup a acquis le statut de symbole, à moins d'y être contraint par des normes ou d'y trouver un intérêt financier quelconque.

Ainsi, inverser les tendances de consommation en rétablissant les priorités, dont font partie l'alimentation "saine" et réfléchie (même si plus coûteuse au premier abord), permettrait de recréer une chaîne dont profiterait chacun de ses acteurs. Ainsi, l'obtention de revenus décents, plus en phase avec les efforts et l'investissement personnel nécessaires, permettrait, d'une part, de pérenniser les structures agricoles à taille humaine au détriment des structures industrielles et, d'autre part, que ces agriculteurs et/ou éleveurs puissent aborder plus sereinement les enjeux de conservation des espaces "sauvages" (ou plutôt "non exploités", en France) et des espèces qui y vivent. Mais pour ce faire, chacun doit prendre sa part de responsabilité. Et si le consommateur final, pris individuellement, peut prendre ponctuellement conscience de l'intérêt du "moins et mieux" (ce qui définit très bien la décroissance...), il reste encore beaucoup à faire à plus grande échelle. Néanmoins, la prochaine fois que vous achèterez des côtelettes d'agneau ou des merguez, en regardant le prix et la provenance, ayez une petite pensée pour le loup, victime indirecte et stigmatisée de nos comportements quotidiens.


PS : On peut également avoir une pensée pour les agneaux et les moutons, même si ce n'était pas le sujet du jour...

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