Un lendemain d'élection

L’entre-deux tour bat son plein. Je n’ai pas l’habitude de parler politique sur internet, mais j’en ai senti le besoin quelques jours après ce premier tour d’élection locale dont les enjeux et la portée, une fois encore, rejoignent bien trop le niveau National alors que cela ne devrait pas être le cas. Avant d’aller plus loin dans mon « analyse », terme trop pompeux, je me dois de préciser que je n’ai jamais voté FN et n’envisage toujours pas de le faire.

28%. C’est le score national du FN. 40% par endroits. 60% dans certaines villes qu’il a remportées aux dernières municipales ! Même en prenant en compte les récents événements, même en prenant en compte l’inévitable effet « ras-le-bol », la contestation n’est plus le seul ciment du vote FN. Il y a, qu’on le veuille ou non, dans toutes « couches » ou « classes » sociales, un vote FN « d’adhésion ». Sa réelle part dans le score total est certes difficile à évaluer de façon fiable. Et l’abstention –élevée, mais en retrait par rapport aux dernières régionales- n’explique pas tout. Rien ne dit qu’une partie des abstentionnistes ne serait pas allé (ou n’ira pas) voter FN.

La une de la presse française, les punchlines des journaux télévisés, les innombrables appels, articles ou déclarations d’artistes ou de personnalités, les commentaires sur les réseaux sociaux se rejoignent : « honte », « marée noire », « fascisme »… Sans oublier tous ces gens qui n’hésitent pas à qualifier d’ « idiots », « abrutis », ou d’autres noms encore celles et ceux qui ont choisi sciemment de voter FN. Bravo : c’est le meilleur moyen de conforter leur vote !

Comment réagiriez-vous si l’on qualifiait vos convictions de « nulles » ? Si on vous disait que votre vote était une « honte » ? Chacun voit midi à sa porte, mais à leur place j’aurais certainement tendance à poursuivre dans ma voie, en l’absence d’argumentation digne de ce nom sortant des habituels poncifs « c’est pas bien », « c’est un parti de fachos », « c’est le retour au Pétainisme »...

Cette mécanique politique et médiatique est d’autant plus néfaste que le FN a bâti son programme sur l’image d’un parti « anti-système ». Quel meilleur exemple pour les Le Pen, Philippot et consorts que de voir d’un coup tous ces écrits, toutes ces personnes plus ou moins médiatisées, gauche et droite confondues, pousser des cris d’orfraie ? Quelle meilleure légitimation de leur discours ?

Les partis politiques « traditionnels » et les médias ont, en réalité, creusé le lit des succès actuels du FN. Hystérisation des discours, hyper-médiatisation, destruction du temps politique… Les partis « traditionnels » ont joué de ces facteurs, à grand renforts de communicants, publicitaires et sondeurs de tous poils. Mais ils ont oublié un élément clé de la politique : les idées qui fondent un « projet de société », une sorte de contrat social définissant avec précision ce qu’ils voudraient faire du pouvoir.

Le FN a, lui aussi, joué avec ces facteurs, ni plus ni moins, ni mieux ni moins bien que les autres. Mais il a un programme. Celui-ci présente un projet de société qui repose sur le tarissement des flux migratoires et la coupure des allocations sociales aux bi-nationaux pour financer tout un tas de mesures sécuritaires et économiques (augmentation des budgets de la Défense et de l’Intérieur, augmentation des effectifs de Police, augmentation des effectifs militaires, fin des opérations extérieures, fermeture des frontières, création de prisons, retrait de l’Euro…). On peut être d’accord ou non avec ce programme, le fait est qu’il est écrit dans leurs dépliants. Il n’est secret pour personne. Les Le Pen et leur état-major le ressassent depuis des années.

Le problème est que parmi les autres partis, qu’ils soient « traditionnels » (PS, LR, UDI, MoDem, EELV…) ou qu’ils le soient moins (LO, PG, DLF…), aucun n’a vraiment de projet de société clair à opposer au FN. Ou, en tous cas, aucun n’a réussi à le porter de façon audible. Le programme FN repose avant tout sur le fait que les flux migratoires absorbent une part monstrueuse du budget (en frais d’accueil et en allocations sociales), que l’Europe en absorbe une autre part monstrueuse, et que le chômage de masse et la « perte de valeurs Républicaines » résultent de ces deux premiers facteurs. Les médias amplifient et faussent certainement la part réelle inquiétude populaire sur ces thèmes, mais le fait est qu’ils semblent essentiels pour une frange non négligeable de nos concitoyens, à des degrés variables.

Mais, sur ces sujets, que disent les autres partis ? Que répondent-ils ? On ne « combat » pas (verbe à la mode, notez-le) une idéologie, avec des principes. On ne « combat » pas des idées avec des sentiments. On s’oppose à une idéologie et à des idées avec une autre idéologie et d’autres idées. On ne doit pas se contenter de dire « bouh, le FN c’est mal ! », « le FN est une honte ! », « les électeurs FN sont des idiots »… Non, il n’y a pas 30% de fachos-réac-néonazis-Pétainistes en France : les électeurs du FN en 2015 sont ouvriers, profs, artisans, fonctionnaires, chômeurs, cadres, intellectuels, et sont même pour certains issus de l’immigration. C’est vous, moi, eux, nos voisins, vos collègues, leurs amis. C’est tout le monde. Ou plutôt, un peu de tout le monde. Qui peut affirmer qu’il n’a personne parmi ses connaissances qui s’est laissé tenter par le vote FN? Alors il faut aller vers eux. Écouter, essayer de comprendre leur cheminement intellectuel, que l’on soit diamétralement opposé à ces prises de positions ou qu’on le soit moins. Je suggèrerais bien volontiers de débattre et de leur préciser quelles sont les positions des autres pions de l’échiquier politique, mais force est de constater que sur les sujets actuellement sous les feux de la rampe, il y a de toutes parts un silence profondément assourdissant.

Que dit le PS sur l’immigration ? Que disent LR sur le chômage ? Que dit EELV sur la surpopulation carcérale ? Quels sont leurs projets ? Quelle est la cohérence de leur action ? Où se trouve l’attachement à leurs idées et principes quand ils choisissent de fusionner leurs listes avec leurs opposants, ou lorsqu’ils choisissent de se retirer d’un second tour, privant celles et ceux qui leur ont accordé leurs voix de représentation aux conseils régionaux ?

La classe ouvrière n’écoute plus la gauche sociale ni la gauche révolutionnaire. Les classes moyennes ont déserté le PS, le centre et la droite gaulliste. La « classe moyenne plus » et les cadres/cadres sup ne suivent plus vraiment la droite libérale. Le curseur politique National ne s’est pas déplacé vers la droite, il y a « juste » une fuite dans chaque camp vers le FN, parce qu’il n’y a plus de projet cohérent dans les partis d’où ils viennent.

Les hommes et les femmes qui soutiennent ou qui font les partis « traditionnels » doivent entendre, analyser et comprendre le message des urnes. Ils doivent agir de façon cohérente, et renoncer à ces fameux « fronts républicains » qui alimenteront une fois de plus le discours d’assimilation gauche-droite évoqué en permanence par le FN, et feront qu'une importante frange d'électeurs se retrouvera sans candidats au second tour, les laissant ainsi dans une impasse qui nourrira invariablement un jour ou l’autre l’électorat frontiste. Le FN gagnera une ou plusieurs régions, et sera présent avec de nombreux élus dans d’autres assemblées. Les désistements n’auront pour effet que de priver les conseils régionaux de conseillers d’opposition représentant toutes les diversités du vote. Et l’on ajoutera encore ainsi au sentiment généralisé de mauvaise représentation populaire dans les Institutions.

La démocratie exige que celui qui emporte la majorité des voix emporte l’élection et le mandat qui va avec. Cessez de juger et de brocarder les électeurs du FN. Écoutez-les, débattez avec eux, essayez de comprendre leur démarche intellectuelle. Réfléchissez à un réel projet de société, faites-vous une opinion et tentez de penser une politique à appliquer sur les thèmes –certes pas tous essentiels- qui nourrissent l’électorat FN.

Ce n’est pas de bons sentiments ni de poncifs dont le pays a besoin (« il faut combattre le chômage », « il faut lutter contre les stigmatisations », « il faut réduire les inégalités », et j’en passe d’autres qui jalonnent toutes les professions de foi des différents candidats…), mais de groupes ou partis qui, chacun selon leurs sensibilités, bâtissent des projets de société chiffrés, étayés, précis, cohérents, qui cessent d’enfoncer des portes ouvertes et qui apportent des réponses claires aux problématiques (même racoleuses) qui intéressent la population.

Dimanche prochain, le FN remportera très certainement une ou plusieurs régions : c’est la règle de la démocratie qui permet cela. L’avenir dira si ils réussiront ou non à gérer ces collectivités, et si leur projet est efficace ou non. Leur bilan servira ou desservira leurs aspirations futures. Mais, pour les échéances et débats à venir, il faudra à toutes les sensibilités politiques des idées, des vraies, de quoi proposer de véritables projets et un véritable choix aux électeurs-citoyens. Si les partis « traditionnels » poursuivent sur leur triste lancée, j’ai bien peur que le débat n’existe plus et que le FN ne devienne de facto le seul parti à proposer quelque chose de concret. Et qu’il récoltera tous les déçus.

Il est temps pour tous de réfléchir, il est temps pour les partis de (se) (re)construire au travers d’un projet. Quel que soit le nombre de régions qui se pareront de bleu marine dimanche prochain, le FN a déjà, de toute façon, remporté les élections régionales 2015. Mais quelles que soient les sensibilités politiques, les succès de demain doivent se construire dès aujourd’hui. Au travail !


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