Soirée à Dishifu Lu, Canton [Chine]

S'il ne rentrait pas ce soir ?

Chen Wing n'est pas vieux. Il est usé. Tous les soirs, en rentrant du pénitencier où il travaille dans les bureaux, il passe dans la grande artère commerçante de Dishifulu, près de la très romantique île de Shamian où les couples aiment à se faire prendre en photo dans des pauses et des tenues de cinéma américain.

Il passe souvent par cette échoppe modernisée, ni grand restaurant, ni cuisine de rue, où la petite serveuse et le poulet frit le font saliver.

Chez lui, entre ses beaux-parents qui parlent et jugent sans cesse et sa femme qui ne décolle plus de l'écran de télévision plasma qu'ils se sont offerts au Nouvel An, l'envie de rentrer l'a déserté. Il ne se souvient pas de la dernière fois qu'ils ont dîné en famille.

Dans les logements exigüs de cette grande ville, ce serait un luxe, on ne le fait que les jours de fête.

Mais il est fier et heureux d'appartenir à la grande nation chinoise, un pays moderne et entreprenant, qui a su briller à la face du monde lors des derniers jeux olympiques, capable de raser des montagnes et de déplacer des villages pour construire des ouvrages d'arts incroyables.

Un pays sans états d'âmes, un peu comme lui au pénitencier. Il ne veut pas savoir qui a fait quoi pour atterrir en ce lieu. Si on les écoute, ils sont tous innocents. Au moins, on les occupe en travaillant. Tiens, c'est drôle, hier ils ont eu une commande pour coudre des sacs pour cette grande marque sportive qui sponsorisait les Jeux Olympiques…