Périls vraisemblables - Partie 1: le climat

Lorsque le cinéma aborde, à grand renfort d'effets numériques, le thème de la fin du monde, c'est généralement dans un but bien précis: ramener des spectateurs dans les salles. Rien de plus, rien de moins. On se contente donc de nous parler de choses certes effrayantes, mais généralement totalement improbables. Par exemple les fantasmes de fin du monde basés sur la "prophétie" des Mayas, ayant donné lieu au film 2012, faisaient clairement partie des spéculations irraisonnées, dans la droite lignée des prédicateurs irrationnels et autres gourous ayant été en contact avec des civilisations extra-terrestres provenant de l'autre bout de la galaxie. Les prophéties annonçant la fin de l'humanité existent certainement depuis le début de l'humanité. Etrangement, ce genre d'idée continue de se propager, bien que manifestement, elles soient basées sur des peurs et des croyances sans fondement. Pire, les groupes annonciateurs de rumeurs de fin du monde ne voient pas leur discours affecté lorsque la date butoir de chaque prophétie est dépassée: au contraire, ils renforcent leur discours en rajoutant des éléments de plus en plus fantasmatiques, mais permettant d'expliquer la toute nouvelle non-fin du monde: "nous avons prié pendant toute une semaine, et en échange un sursis a été accordé à l'humanité". Mouais.

Je voudrais ici commencer une série d'articles sur les causes qui pourraient conduire, sinon à une fin du monde, du moins à une dégradation plus ou moins rapide des conditions de vie sur Terre. Je ne parlerai pas de "fin du monde" car ce terme est beaucoup trop vague: qu'entend-on par fin du monde ? Si on entend par là la destruction de la planète, alors il y a peu d'événements qui pourraient objectivement conduire à une telle éventualité; si bien sûr on met de côté la transformation progressive du soleil en géante rouge dans quelques milliards d'années qui va, très vraisemblablement, entraîner une vaporisation de la Terre. Mais de toute manière les conditions de vie sur Terre auront déjà été suffisamment modifiées, et depuis longtemps, pour que la Terre ne soit plus alors qu'un caillou stérile: le soleil se réchauffant progressivement, il est inéluctable que, dans un bon milliard d'années, l'intégralité des océans se soit déjà évaporé, et que seuls quelques insectes soient encore capable de survivre. Même une collision avec une comète ne détruirait pas la Terre. On a les preuves indirectes que de telles collisions ont eu lieu par le passé. Si ce genre d'événement peut très bien causer un épisode d'extinction de masse, il n'affecte pas en revanche l'intégrité de la planète. Partons donc de l'hypothèse que par "fin du monde" nous entendions la fin de la civilisation telle qu'on la connaît.

Dans ce premier article, je vais rapidement traiter de la menace qui nous pend le plus probablement au nez: le changement climatique. Je pars du principe qu'il y a un consensus scientifique à ce sujet. Cela fait maintenant presque deux siècles que sont annoncés les effets d'une augmentation des concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère (voir 'On the influence of carbonic acid in the air upon the temperature of the ground' par Svante Arrhenius, Philosophical magazine and journal of science, series 5, vol. 41, april 1896, pp. 237-276). Joseph Fourier était arrivé aux mêmes conclusions dans les années 1820, mais je n'ai pas de référence. Un simple calcul de transfert radiatif (je pense notamment au modèle en "nombre de vitres équivalentes") permet de se convaincre très facilement de l'augmentation de la température au sol avec la diminution de la transmittivité dans la plage infrarouge. On pourra se référer à l'excellent article "L'effet de serre atmosphérique: plus subtil qu'on ne le croit !" par J.-L. Dufresne et J. Treiner, paru dans "La Météorologie", n°72 de février 2011. D'autre part, la preuve directe de cet effet de serre est facilement trouvable sur le net, il suffit de chercher n'importe quel article où sont montrées les courbes d'augmentation du taux de CO2 et de la courbe de température moyenne sur Terre. Si on extrapole un tout petit peu cette courbe... et bien on se rend compte qu'il y a un vrai problème.

Pour l'instant, les effets de ce réchauffement ne sont pas trop visibles. Il y a bien l'augmentation de la fréquence des gros ouragans, qui causent des destructions matérielles importantes, et qui ont surtout des effets irréversibles sur les écosystèmes fragiles. Allumez votre télé (pas sur une chaîne de télé-réalité !) vers 18 ou 19h, vous aurez une grande probabilité de tomber sur un reportage montrant les effets des tempêtes ou de l'élévation du niveau des eaux sur les écosystèmes les plus sensibles. Les signes avant-coureurs de la catastrophe annoncée sont bien présents et documentés, mais s'ils restent pour l'instant relativement modérés, c'est parce qu'une grande partie de l'énergie excédentaire actuellement capturée par l'atmosphère sert surtout à faire fondre les calottes glaciaires et le permafrost. L'énergie nécessaire à faire fondre une quantité de glace (tout en n'élevant pas sa température), la chaleur latente, correspond à l'énergie nécessaire pour augmenter la température de cette même quantité d'eau de... 80°C ! En d'autres termes, que pensez-vous qu'il va se passer lorsque la glace aura totalement fondu ? Il faut bien entendu prendre en compte les rétroactions du système dans l'analyse: une augmentation de la température, même faible, va entraîner une augmentation de l'évaporation de l'eau des océans. Par condensation en haute atmosphère, on peut donc s'attendre à une augmentation de la masse nuageuse, qui entraînera à son tour une baisse de la puissance reçue. Et donc finalement un nouvel équilibre radiatif va s'établir. Le changement climatique peut se résumer à ça: l'établissement d'un nouveau équilibre, sachant que les conditions du système ont évolué.

Ce qui fait que le changement climatique n'est pas perçu comme un danger majeur, tient au fait que le temps de réponse du système climatique est supérieur à la durée de vie humaine: nous brûlons des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) depuis, en gros, le début de l'ère industrielle (1850), et nous ne commençons à en percevoir les effets que maintenant. Le cerveau humain n'étant rien d'autre qu'une machine à anticiper les menaces à très court terme, nous négligeons totalement les conséquences que nos actions présentes auront dans plus d'un siècle, même si ces conséquences signifient, par exemple, que les conditions environnementales seront invivables autour de l'équateur, ou que la majorité des espèces vivantes n'auront ni le temps de s'adapter, ni le temps de migrer vers des zones aux conditions de vie plus propices (sous réserve qu'il en reste). J'en veux pour preuve le manque de compréhension manifeste qui a conduit à prendre la décision, lors de la conférence COP21, de restreindre les effets du changement climatique en dessous de la barre de 2°C de réchauffement global. Si j'ai bien compris on en est déjà environ à 1°C (la température globale de la Terre en 2015 était 1.04°C plus élevée qu'avant l'ère industrielle; source: www.technologyreview.com). Même si on arrête maintenant toute extraction et toute utilisation d'énergie fossile, même si on arrêtait subitement toute émission de gaz à effet de serre, la température moyenne continuerait à augmenter, durant les prochaines décennies, au-delà du seuil de 2°C. Du simple fait de l'inertie du système. Et on est loin d'arrêter les émissions ! Si l'inévitabilité du changement climatique semble bien établie, en revanche cet aspect d'inertie n'est pas du tout pris en compte: on retrouve, même dans des publications scientifiques prestigieuses, cette idée qu'une diminution des émissions sera suivie immédiatement par une diminution des températures.

Le changement climatique est donc la cause la plus probable qui va conduire, sinon à une extinction de l'humanité (les humains sont très résistants et pleins de ressources), du moins à une crise majeure. Il restera toujours quelques nantis qui auront suffisamment anticipé pour acheter de vastes territoires actuellement inoccupés au pôle nord, où ils vivront au bord de plages de sable fin bordées de palmiers (entre deux raffineries). Ces changements vont s'opérer sur des durées telles que l'on n'aura pas la sensation d'un changement: nous sommes faits pour nous adapter en permanence aux conditions environnementales. Qui se souviendra encore, dans 50 ans, qu'il y avait des ours polaires, et même une banquise ? Je suis à peu près sûr que nos descendants remettront en doute les mesures de température que nous effectuons. Et un reportage sur les difficultés d'adaptation de la faune arctique pourra toujours être interprété comme un vieux film de science-fiction. Les conditions auront changé, et alors ? Il faudra bien vivre avec, et personne n'aura connu autre chose. La bonne nouvelle c'est qu'on aura remis un peu de CO2 dans l'atmosphère pour qu'il soit utilisé par les plantes qui auraient fini par ne plus avoir de carbone à fixer.

Vincent Eymet

Ancien chercheur en énergétique / transfert radiatif (climatologie, astrophysique, aéronautique). Maintenant directeur de la recherche chez Méso-Star (meso-star.com)

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