La femme du batelier [Laos]

Il y a les bateaux pour touristes et les bateaux pour les locaux, qui descendent le Mékong de Huai Xay, la ville frontière entre la Thaïlande et le Laos, à Luang Prabang.

Manola a de la chance, elle est mariée à Anousone, le batelier qui est en charge du bateau de onze heures, celui qui transporte les touristes. Ce n'est pas qu'elle aime particulièrement leur contact, mais ils consomment bien. Elle se demande comment ils se comportent chez eux. Elle les voit embarquer braillant ou au contraire totalement dans les brumes de leur soirée enfumée de la veille. Les familles lui font moins peur, même si ce ne sont pas ses meilleurs clients : ils ont déjà prévu la nourriture pour bébés, les boissons dans des thermos, les sandwiches et les fruits découpés.

Les jeunes routards sortent des billets comme s'ils disposaient de la fortune du roi de Thaïlande. On lui a raconté qu'en France, le gouvernement donne de l'argent même aux gens qui ne travaillent pas. Ils montent sur le bateau la grande bière à la main, abandonnant sans ménagement et surtout sans un regard leur sac à dos à son mari, qui le cale en soute, puis s'avachissent sur un siège avant d'allumer leur troisième joint de la journée. Ils font des allers-retours entre son bar et leur siège, son bar et le fond du bateau où le moteur assourdissant les ramène à des conversations de boîte de nuit.

Elle se demande aussi pourquoi ils n'ont pas l'air plus heureux, eux qui possèdent dans leur portefeuille ce qu'elle n'aura pas en six mois.

Manola aime beaucoup voir les enfants avec leurs grands yeux écarquillés, et elle apprécie les gens qui lui parlent normalement, sans la prendre pour une curiosité touristique ou pour un distributeur automatique. Ce sont souvent les personnes plus âgées, et elle se dit que comme chez elle, les ancêtres sont respectés et qu'en retour, ils respectent les autres.

Le trajet dure six heures jusque l'escale de nuit, à Pakbeng, où ses compatriotes ont ouvert des guesthouses plus ou moins propres tout le long de la rue principale.

Vers 17h, tout le monde descend du bateau. Il lui reste à tout balayer, nettoyer les toilettes rudimentaires, jeter les reliefs et emballages laissés sur les sièges dans de grands sacs. Elle a arrêté de les balancer dans le fleuve parce que ce n'est pas bien, ce sont les gens mal éduqués qui font ça.

Son mari se repose avec ses collègues, allongé sur le bord du Mekong. Elle compte l'argent du bar et part au ravitaillement : il faut regarnir les glacières pour la deuxième partie du voyage demain jusqu'à Luang Prabang.  

La femme du batelier [Laos]
La femme du batelier [Laos]


Isabelle

Je joue à l'écrivain avec ces articles qui mêlent histoires et images et sont le reflet de mes émotions de voyages : mes RAW-TRIP STORIES. Les textes sont à considérer comme des fictions et, même s’ils sont inspirés par nos rencontres, nos ressentis, toute ressemblance avec une personne existante ou ayant existé ne serait, franchement, que pure coïncidence.

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