Jakob s'installe tous les matins sur la place près du débarcadère du ferry qui conduit les touristes gratuitement autour de la Statue de la Liberté. Son truc, c'est le Street Art, et c'est à Big Apple que ça se passe, croyait-il. Il est né à Roma, dans le Kentucky, une de ces villes d'apparence ennuyeuse et paisible mais où l'on n'encourage pas ce style de vie. Une bonne dose de religion faux-cul, la réussite financière en étendard et la poussière sous le tapis.
Jakob a un don pour les dessins de visages gigantesques, que l'on ne découvre que sous un certain angle lorsqu'on monte tout en haut des immeubles, ou que l'on se promène de l'autre côté du pont de Brooklyn.
Seulement, il faut payer la place en dortoir dans l'auberge pour backpackers de Harlem, au prix d'un trois pièces à Roma… Alors il vend aux touristes des paysages peints à la bombe sur des cartons, des visions futuristes de la ville qui apparaissent ex-nihilo sous les yeux ébahis, en quelques secondes. Ce qui leur fait dire “Il a un don”, bien qu'il ne soit pas le seul sur la place à produire ce genre d'oeuvre mineure. Cela lui apparaît comme une défaite, il se sent comme un artisan asiatique qui s'est mis à peindre des prénoms sur des grains de riz, un peu ridicule…
Puis il se dit que c'est juste un moyen, sa vraie vie est ailleurs, comme nous tous.
Photo : Stéphane Desbois
Texte : Isabelle Desbois
Rappel : Les photos de portraits ont été prises dans la rue, parfois sans autorisation formelle de la part des personnes photographiées. Si d’aventure l’une d’entre elles se reconnaissait et ne souhaitait pas se voir ainsi exposée, nous retirerons la photographie du site.
Les textes sont à considérer comme des fictions et, même s’ils sont inspirés par nos rencontres, nos ressentis, toute ressemblance avec une personne existante ou ayant existé ne serait, franchement, que pure coïncidence.