Impact du climat ou des pesticides ?...


Les pesticides, un désastre écologique nié ?

Des insectes décimés dans une forêt tropicale de Porto-Rico, à cause du réchauffement climatique, dit-on ? Le bouleversement du climat global est une réalité. L'effondrement de la population d'insectes est une réalité. Mais ce qu'il faudrait relever aussi, c'est l'impact catastrophique de l'utilisation incontrôlée de la chlordécone dès 1972 comme pesticide et fongicide aux Antilles (dont Cuba, la République dominicaine, Porto-Rico...) qui luttent contre la cercosporiose noire qui attaque les bananeraies. Les traitements par pesticides s'y font en multipliant les épandages aériens abominables : il ne peut pas y avoir de zones qui aient été absolument épargnées par ces pesticides dispersés, pas même les forêts porto-ricaines inexploitées et théoriquement protégées. Le problème des pesticides aux Antilles est tel que les autorités cherchent à créer une variété hybride ou une variété OGM de bananeraies résistantes à la cercosporiose noire pour en finir avec l'abus de pesticides. La chlordécone est un pesticide organochloré persistant, non biodégradable, il empoisonne durablement les sols pour plusieurs siècles, malgré l'interdiction du chlordécone en 1993, la toxicité du produit est active pour longtemps. C'est trop tard là-bas, le mal est fait. C'est un désastre écologique.


Alors, je suis un peu surpris d'entendre dire que les insectes de la forêt d'El Yunque soient directement victimes du réchauffement climatique, tout en n'ayant pas apparemment été officiellement décimées par les épandages aériens de pesticides (avec les vents, ça se répand pourtant partout). Chez nous, on retrouve bien du glyphosate dans nos urines en faibles concentrations. 


Il est illusoire de croire que les pays situés en dehors de l'Union européenne (elle-même qui réglemente souvent l'usage des produits chimiques phytosanitaires) profitent d'un environnement absolument sain et exempt de pesticides, alors qu'en fait l'usage des pesticides y est incontrôlé et excessif. Le bio, ça existe en Europe et peut-être en Amérique du Nord. Mais ailleurs, ce n'est pas le cas.


Paléoclimatologie

J'ai pu lire aussi (dans l'article de Skõp que je cite en lien hypertexte) que les insectes supportent très difficilement la chaleur (suite à l'élévation locale de 2,2°C). Je dois cependant rappeler que les insectes existent depuis très longtemps, ils ont existé lors de plusieurs ères géologiques aux climats divers et en particulier le Dévonien, il y a plus de 350 millions d'années. Concernant l'ère du Dévonien, les scientifiques savent que le taux d'oxygène y était 75% du taux actuel d'oxygène, et le taux du CO2 était 6,5 fois plus élevé que le taux de CO2 actuel, et (détail important) la température moyenne globale était 6°C au-dessus de la température globale actuelle, le climat était tropical, il y faisait bien plus chaud que maintenant (dans la longue histoire de la Terre, le climat global a toujours varié). Ainsi, les insectes tolèrent la chaleur jusqu'à une certaine limite, par contre ils ne supportent pas le froid ni la sécheresse. Je ne remets pas en doute les conclusions du chercheur, il est d'un institut polytechnique sérieux, j'ai examiné ses graphiques et tout a l'air pertinent, mais on peut se poser de sérieuses questions légitimes quand on voit qu'il n'y a (apparemment) aucune implication des pesticides dans l'étude qui a été réalisée. 


Les néonicotinoïdes tuent (vraiment) les abeilles

L'article de Skõp cité en lien hypertexte dit que les néonicotinoïdes seraient impliqués (au conditionnel) dans le déclin des abeilles. Des preuves scientifiques montrent qu'ils sont impliqués de façon certaine : un article scientifique suisse publié en 2009 déclare que les néonicotinoïdes sont des insecticides largement utilisés en agriculture pour lutter contre les insectes nuisibles, mais peuvent aussi affecter d’autres insectes comme les abeilles, les néonicotinoïdes nitro-substitués (imidaclopride et thiamethoxam) en application topique sont les plus toxiques pour les abeilles avec des valeurs de DL50 (50% de probabilité de mortalité pour un groupe d'abeilles donné) de 18 nanogrammes par abeille (ce qui est une concentration extrêmement faible, ici 18 ng = 18 milliardièmes de gramme) pour l’imidaclopride et de 30 nanogrammes par abeille pour le thiamethoxam. Pour info, une masse de 1 milligramme pèse un million de nanogrammes, pour se donner une idée.

Pour vous donner une idée de l'horreur que sont les néonicotinoïdes, je vais illustrer par un exemple théorique :

  • Il existe 1 250 000 ruches (d'apiculteurs amateurs et de professionnels) en France.
  • Mon calcul dit qu'il y a environ 62,5 milliards d'abeilles domestiques en France (il y a 50 000 abeilles par ruche en moyenne).
  • Pour qu'il y ait 18 nanogrammes d'imidaclopride par abeille comme DL50, un autre calcul me dit qu'il ne faut répandre seulement que 1,125 kg (donc 1125 grammes, ce n'est pas beaucoup) d'imidaclopride réparti uniformément dans une très grande salle où toutes les ruches françaises (plus d'un million) sont réunies pour provoquer la mort de 50% des ruches. Effrayant...


Empoisonnés

En Europe, les néonicotinoïdes sont incriminés dans la disparition extrêmement inquiétante des insectes pollinisateurs comme les abeilles, mais en dehors de l'Europe la situation n'est pas plus favorable : les agrumes, les bananes et tous les fruits tropicaux sont traités par des saloperies de produits chimiques toxiques. Les bananes sont traitées par du thiabendazole (et pas seulement par le chlordécone, autrefois)... Les citrons, eux, sont traités avec l'imazalil (aussi nommé énilconazole, chloramizol ou deccozil), c'est un fongicide carcinogène utilisé dans le traitement de certains fruits, comme la banane, des agrumes (les citrons, les oranges, les clémentines, les mandarines), des légumes, et notamment des pommes de terre et autres tubercules. Dans les pays tropicaux, les bestioles prédatrices de fruits sont bien plus nombreuses et variées (où l'étaient, parce qu'elles ont toutes crevé...) que nos bestioles en Europe, l'usage des pesticides y est donc démesuré...

Vous aviez cru que les fruits importés étaient « bio » et sains ? C'est toute la planète qui est impactée par les pesticides, et pas seulement les pays les plus industrialisés.


Bref, les pesticides empoisonnent l'environnement, les insectes meurent massivement, et toute la chaîne alimentaire s'en trouve affectée. Et on entend dire que c'est plutôt à cause du changement climatique ? Il est impossible que le dichlordécone n'ait eu aucun effet sur les insectes tropicaux. 


La chaleur pourrait avoir un effet sur les insectes, je ne remets pas ceci en doute, mais on ne peut pas nier non plus l'impact délétère des pesticides sur toute la chaîne alimentaire, à l'échelle mondiale.




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Philip Tchelovek

Blogueur scientifique. Présent sur Skõp depuis le 19/03/2016. Articles sous copyright, mais vous pouvez partager les URL librement.

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